Les participants à mes formations ou à mes coachings de prise de parole sont toujours étonnés de constater à quel point je les emmène loin de ce qu’ils imaginaient au départ. Souvent, ils viennent chercher quelques « trucs et astuces » pensant que cela suffira à les faire gagner en impact et en aisance lors de leurs interventions orales. Ils déchantent vite. Je suis bien obligée de « renverser la table » et de leur annoncer une dure réalité : le public a changé, de manière radicale, notamment du fait des usages des outils technologiques. D’ailleurs, il continue de changer, en permanence. De ce fait, l’orateur doit lui aussi changer s’il veut rester dans la course.
D’ailleurs ces mêmes participants, la plupart du temps rétifs – comme tout un chacun – au changement, sont bien obligés de concéder la pertinence de ce que je leur propose de considérer : la bande « passante est saturée », trop de datas tuent la data… Les outils technologiques abreuvent tout un chacun en permanence d’informations, de messages, de vidéos, de reels, de tweets…
Alors on peut fermer les yeux, faire la sourde oreille et continuer comme avant. Beaucoup le font, et certains même alors qu’ils se trouvent déjà en formation ou en coaching avec moi. Les freins aux changements sont puissants…
L’autre option est de regarder le monde tel qu’il est, et de se demander comment faire pour en tirer avantage ?
Regarder le monde tel qu’il est
Alors comment est le monde, sur le sujet de la communication, au sens large du terme et sue celui de la prise de parole en particulier ?
Comment faire face à ce tableau qui peut paraître résolument décourageant ? Surtout si on rajoute qu’il n’y a pas de raison objective – aujourd’hui en tout cas – que le paysage s’apaise dans les mois et les années qui viennent…
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » aurait dit Albert Camus. Si on inverse le paradigme, ajouter au bonheur consisterait donc à bien nommer les choses. Et c’est mon postulat de base !
Bien nommer les choses
Comment bien nommer les choses ? C’est une question tout à la fois philosophique, psychologique, linguistique et sans doute encore bien plus vaste. Pour ma part, je l’ai abordée, il y a longtemps déjà, par le prisme journalistique. Dans les fondamentaux du journalisme – qui est mon premier métier – on s’attache à la dimension factuelle du récit. On cherche les faits et on les rapporte. Lorsqu’on réalise des interviews, on demande aux personnes qu’on a face à soi d’étayer leurs propos en expliquant ce qu’elles ont vu, entendu, vécu, observé, etc. Bien sûr, sur un même événement, deux personnes ne verront pas la même chose ou ne le diront pas de la même manière. Chacun a déjà pu vérifier cela sur une situation banale : un simple accrochage entre deux voitures par exemple. Mais d’en passer par un récit très concret, basé sur les faits, est la meilleure garantie de vérité. Nous, en tant qu’êtres humains, n’en n’avons pas d’autre…
À cet endroit j’entends déjà deux réserves : la première c’est qu’on peut mentir. La deuxième : c’est trop simple pour que cela change radicalement les choses.
Concernant le mensonge, il est le propre de l’être humain et je n’y peux rien. Mais dans ma pratique de formatrice et coach en prise de parole, je travaille avec des personnes qui sont tout étonnées de s’entendre dire – à la réécoute d’un enregistrement audio ou vidéo – des mots qu’elles n’avaient pas l’intention de dire ou qu’elles ne se souvenaient même pas d’avoir prononcés… J’en conclus, basiquement, que maîtriser ce qui franchit nos lèvres est déjà un très grand pas vers ce « bien nommer les choses ».
Ensuite, oui, installer son propos sur des éléments factuels est très simple dans la théorie. Dans la pratique, cela suppose « juste » un peu d’entraînement pour acquérir un nouveau réflexe. Concrètement, comment faire ? Eh bien cela faire partie des points que j’ai rassemblés dans la Méthode du Losange de construction d’une prise de parole. Pour en dévoiler ici une partie, je recommande de construire sa prise de parole avec des verbes d’actions conjugués à la première personne.
Par exemple, je recommande de dire : « j’ai analysé la situation et je suis en train de chercher une solution » plutôt « ça ne va du tout, il faut qu’on trouve une solution ». Dans cette dernière formulation, la formule impersonnelle – « ça », « il faut qu’on » met du flou puisque ne répondant pas à la question « qui fait quoi ? ». En revanche, dans la première proposition, les verbes « analyser » et « chercher », conjugués à la première personne – « je » actent le fait que l’orateur agit, qu’il a pris la situation en main, que le problème est géré, alors même que la solution n’est pas encore trouvée.
Changer de paradigme, c’est possible !
Le changement effraie pour la représentation qu’on en a. Il fait sortir de nos habitudes qu’on déteste et adore à la fois. Des sondages affirment que le déménagement est la troisième source de stress après un décès et le divorce, preuve s’il en faut, qu’on n’aime pas faire autrement.
Concernant la prise de parole, le changement de paradigme vient du changement de comportement de l’auditoire – que tout un chacun peut observer à tout moment, aussi bien sur soi que sur les autres : on est tous impatient, impertinent et zappeur…
Pour se faire entendre par cet auditoire de type 3.0, construire un propos factuel et concret est la – seule ? – manière de relever le défi de la communication entre humains. Sur cette base concrète, chacun sait de quoi il est question. Qu’on se le dise !